Rain-Eve
Nombre de messages : 4268 Age : 39 Localisation : Fribourg, Suisse Date d'inscription : 16/03/2007
| Sujet: Nouveau Roman, Sarraute & Robbe-Grillet Ven 26 Oct 2007 - 16:45 | |
| Je sens que ce post va avoir un succès qui frise le zéro absolu. Toujours est-il que j'aurais aimer vous faire lire deux textes que j'aime, pour le simple plaisir de partager même si c'est de la littérature.
Pour les Suisses, Alain Robbe-Grillet est en conférence à l'uni miséricorde à Fribourg ce mardi, une occasion unique pour les amateurs de noveau roman.
mais oui, le temps passe vite, ah, c'est une fois passé vingt ans que les années se mettent à courir plus vite, n'est-ce pas ? Eux aussi trouvaient cela ? et elle se tenait devant eux dans son ensemble noir qui allait avec tout, et puis, le noir, c'est bien vrai, fait toujours habillé... elle se tenait assise, les mains croisées sur son sac assorti, souriante, hochant la tête, apitoyée, oui, bien sûr, elle avait entendu raconter, elle savait comme l'agonie de leur grand-mère avait duré, c'est qu'elle était si forte, pensez donc, ils n'étaient pas comme nous, elle avait conservé toutes ses dents à son âge... Et Madeleine ? Son mari... Ah, les hommes, s'ils pouvaient mettre au monde des enfants, ils n'en auraient qu'un seul, bien sûr, ils ne recommenceraient pas deux fois, sa mère, la pauvre femme, le répétait toujours — Oh ! oh ! les pères, les fils, les mères ! — l'aînée était une fille, eux qui avaient voulu avoir un fils d'abord, non, non, c'était trop tôt, elle n'allait pas se lever déjà, partir, elle n'allait pas se séparer d'eux, elle allait rester là, près d'eux, tout près, le plus près possible, bien sûr, elle comprenait, c'est si gentil, un frère aîné, elle hochait la tête, elle souriait, oh, pas elle la première, oh, non, ils pouvaient être tout à fait rassurés, elle ne bougerait pas, oh, non, pas elle, elle ne pourrait jamais rompre cela tout à coup. Se taire ; les regarder ; et juste au beau milieu de la maladie de la grand-mère se dresser, et, faisant un trou énorme, s'échapper en heurtant les parois déchirées et courir en criant au milieu des maisons qui guettaient accroupies tout au long des rues grises, s'enfuir en enjambant les pieds des concierges qui prenaient le frais assises sur le seuil de leurs portes, courir la bouche tordue, hurlant des mots sans suite, tandis que les concierges lèveraient la tête au-dessus de leur tricot et que leurs maris abaisseraient leur journal sur leurs genoux et appuieraient le long de son dos, jusqu'à ce qu'elle tourne le coin de la rue, leur regard.
(TROPISMES, N. Sarraute)
La tache commence par s'élargir, un des côtés se gonflant pour former une protubérance arrondie, plus grosse à elle seule que l'objet initial. Mais, quelques millimètres plus loin, ce ventre est transformé en une série de minces croissants concentriques, qui s'amenuisent pour n'être plus que des lignes, tandis que l'autre bord de la tache se rétracte en laissant derrière soi un appendice pédonculé. Celui-ci grossit à son tour, un instant; puis tout s'efface d'un seul coup.
Il n'y a plus, derrière la vitre, dans l'angle déterminé par le montant central et le petit bois, que la couleur beige-grisâtre de l'empierrement poussiéreux qui constitue le sol de la cour.
Sur le mur d'en face, le mille-pattes est là, à son emplacement marqué, au beau milieu du panneau.
Il s'est arrêté, petit trait obliqué long de dix centimètres, juste à la hauteur du regard, à mi-chemin entre l'arête de la plinthe (au seuil du couloir) et le coin du plafond. La bête est immobile. Seules ses antennes se couchent l'une après l'autre et se relèvent, dans un mouvement alterné, lent mais continu.
A son extrémité postérieure, le développement considérable des pattes — de la dernière paire, surtout, qui dépasse en longueur les antennes — fait reconnaître sans ambiguïté la scutigère, dite «millepattes-araignée», ou encore «millepattes-minute » à cause d'une croyance indigène concernant la rapidité d'action de sa piqûre, prétendue mortelle. Cette espèce est en réalité peu venimeuse ; elle l'est beaucoup moins, en tout cas, que de nombreuses scolopendres fréquentes dans la région.
Soudain la partie antérieure du corps se met en marche, exécutant une rotation sur place, qui incurve le trait sombre vers le bas du mur. Et aussitôt, sans avoir le temps d'aller plus loin, la bestiole choit sur le carrelage, se tordant encore à demi et crispant par degrés ses longues pattes, tandis que les mâchoires s'ouvrent et se ferment à toute vitesse autour de la bouche, à vide, dans un tremblement réflexe.
Dix secondes plus tard, tout cela n'est plus qu'une bouillie rousse, où se mêlent des débris d'articles, méconnaissables.
Mais sur le mur nu, au contraire, l'image de la scutigère écrasée se distingue parfaitement, inachevée mais sans bavure, reproduite avec la fidélité d'une planche anatomique où ne seraient figurés qu'une partie des éléments : une antenne, deux mandibules recourbées, la tête et le premier anneau, la moitié du second, quelques pattes de grande taille, etc...
Le dessin semble indélébile. Il ne conserve aucun relief, aucune épaisseur de souillure séchée qui se détacherait sous l'ongle. Il se présente plutôt comme une encre brune imprégnant la couche superficielle de l'enduit.
Un lavage du mur, d'autre part, n'est guère praticable. Cette peinture mate ne le supporterait sans doute pas, car elle est beaucoup plus fragile que la peinture vernie ordinaire, à l'huile de lin, qui existait auparavant dans la pièce. La meilleure solution consiste donc à employer la gomme, une gomme très dure à grain fin qui userait peu à peu la surface salie, la gomme pour machine à écrire, par exemple, qui se trouve dans le tiroir supérieur gauche du bureau.
[LA JALOUSIE, A. Robbe-Grillet] | |
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Féfé
Nombre de messages : 4779 Age : 35 Date d'inscription : 24/03/2007
| Sujet: Re: Nouveau Roman, Sarraute & Robbe-Grillet Ven 26 Oct 2007 - 19:35 | |
| Pas le zéro absolu, parce que moi en tout cas, je lis et j'aime! Avec une préférence marquée pour le premier texte (mais mon adoration pour l'écriture de Nathalie Sarraute n'est pas une découverte!). Merci de nous avoir partagé ses textes en tout cas! | |
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Asilis
Nombre de messages : 2175 Age : 34 Localisation : Fribourg, Suisse Date d'inscription : 03/12/2006
| Sujet: Re: Nouveau Roman, Sarraute & Robbe-Grillet Dim 28 Oct 2007 - 18:46 | |
| Et voilà tu te retrouves avec deux réponses!!
J'aime beaucoup. Le premier texte...je l'aime bien, et le deuxième aussi.
Merci. | |
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