Quand j'allais mal, je sais que ça allait avec un manque certain d'appétit, un dégout prononcé pour la nourriture, comme tout ce qui pouvait me "faire du bien" corporellement (plus d'alimentation, de boisson, de sommeil, de vie sexuelle). J'étais une sorte d'ovni atterri par on ne sait quel cataclysme sur Terre, et je ne voulais rien. Absolument rien.
Mais manger, encore moins que tout. J'étais une sorte d'antihéros moderne mettait en pratique ses idéaux anti-consuméristes.
Ces idéaux qui revenaient à devenir anti-humain. Tous désirs m'étaient superflus, je pouvais m'en passer, c'était une question de connexion neuronale, je ne voulais pas ressembler à ces gens qui me dégoutaient à manger, avoir des envies, se réfugier dans des luxes matériels. Je voulais vivre libre de toutes ces contraintes, alors j'ai fait pendant ma mauvaise période une sorte, non pas d'anorexie, mais de grève de la faim. Je ne mangeais qu'un 1/2 repas par jour (celui où j'étais confronté à ma famille, pour donner le change) et j'ai perdu pas mal de poids.
Je mangeais juste assez pour ne pas tomber en hypoglycémie. Un sucre le midi, un truc à grignoter le soir en gromellant que j'avais trop mangé le midi. J'ai perdu du poids, j'ai été sujet à des malaises. J'avais réussi à me convaincre que je pouvais me passer de repas -c'était quand même arrivé à un stade assez grave avec le recul
- et je n'avais même plus envie de manger, plus de jalousie pour tous les gens qui mangeaient "impunément". Manger appartenait au domaine de la faute, parce que c'était dispensable, et je voulais atteindre cet équilibre, l'ascétisme, la liberté. Mais si je n'en avais plus envie intimement, mon corps, lui, réclamait, et c'était de plus en dur à cumuler avec l'insomnie.
J'étais très faible physiquement. Je ne saurais vous dire pourquoi, un jour, j'ai eu un déclic, j'ai réussi à me forcer à prendre un repas entier le midi. Je suis arrivé dans le self du lycée, et devant les plats, j'avais la salive aux lèvres, ce qui contrastait pas mal avec cette sensation de dégout innommable. Je n'ai jamais pris le réflexe de me faire vomir -ce qui aurait pu sembler logique- et je me dis qu'heureusement, sinon j'aurais vraiment pu toucher le fond avec l'AM, les crises d'angoisse et le manque de sommeil à coté. Je tenais à vous dire qu'on peut revenir d'assez loin. J'ai aujourd'hui une alimentation correcte, plus d'AM, un sommeil pas top-top (mais j'y travaille ^^) et je suis moins angoissé au naturel. Ce déclic que j'ai eu, il n'est pas arrivé comme le père Noël. C'est le résultat de discussions avec des proches, de prise de recul sur ce que j'étais en train de devenir, ce que je faisais subir à mon corps. Un rythme intenable, usant. Je ne vous dis pas d'oublier vos idéaux (on pourrait croire que je l'ai fait) mais d'apprendre à faire des compromis. Trouver le juste équilibre entre le bien-être physique et l'application directes d'idées assez extrêmes (comme les miennes ont pu l'être parfois). Sortir de cette démarche de "grève" de la faim, ça n'a pas été à contrecoeur, ni une sensation de se trahir. J'ai eu l'impression de me retrouver, nouveau, sorti d'une épreuve. Je revois ça comme une passade, mais quand j'étais dedans, je me disais que c'était comme ça et que ça ne changerait pas. Limite que ça avait toujours été comme ça.
La leçon qu'on peut tirer de tout ça, c'est qu'il ne faut jamais sous-estimer notre capacité à changer. C'est un peu pour vous dire ça que je suis parmi vous.
J'espère que ce témoignage pourra en aider certain(e)s.