L'article n'est pas mauvais mais Delfour passe pour moi à côté d'aspects primordiaux. Que le suicide anéantisse la liberté, qu'un cadavre n'ait plus ni puissance ni volonté je peux le concevoir mais, d'un point de vue strictement théorique, la liberté n'est pas entière si on ne peut pas également y renoncer. Le suicide est donc bien un ultime acte de liberté puisqu'il l'anéanti de manière définitive.
Ensuite, et là je parle en tant qu'étudiante en littérature, il passe à côté d'un point fondamental qu'est le drame dans une pièce. Roméo et Juliette, si ils s'étaient mariés et avaient eu beaucoup d'enfant, serait un pièce banale, sans intérêt. Ce qui constitue l'intérêt de la pièce, c'est justement ce double suicide, le fait qu'ils considèrent leur amour plus important que leur vie. Ce n'est pas tant qu'ils vont se "rejoindre" et vivre paisiblement dans la mort, non, c'est justement cet aspect d'anéantissement de la mort qui donne toute sa dimension dramatique à la pièce. Avoir le courage de terminer sa vie pour des idées, par amour, parce qu'on pense qu'un sentiment est plus important que le fait de respirer est à la fois terriblement humain et extraordinaire. Le suicide donne son intérêt à ces tragédies et, d'un point de vue littéraire, le suicide se doit d'être fantasmé puisqu'un suicide littéraire est avant tout un suicide épique, un suicide qui n'a rien de biologique ou de corporel mais bel et bien un suicide qui fait des personnages de la scène des héros qui agissent comme les spectateurs rêvent de le faire. Je ne dis pas bien sûr que les spectateurs rêvent tous de mourir mais ils rêvent d'actes nobles, purs, courageux. Voir un suicide sur scène, c'est profiter de ce suicide, c'est le faire sien, c'est se suicider sans mourir, c'est la gloire et la pureté d'un amour transcendant la vie sans avoir à faire le sacrifice de sa propre vie. Ainsi le suicide littéraire est perçu par le public - public qui est cependant capable de faire la part des choses entre la fiction et la réalité puisqu'il ne se suicide pas.
D'un point de vue humain, encore une fois, j'ai des doutes sur le bien fondé de son point de vue. Combien de personnes se sont suicidées en pensant à ce côté mythique, ou même glamour ? Bien peu de suicides ont des motifs comme l'amour ou la recherche de liberté, ce mythe du suicide reste un mythe littéraire et ses applications dans la vie ne sont que des exceptions. Les suicidaires sont des personnes poussées à bout, qui n'ont plus la force de réfléchir, de faire une décision consciente. Ce sont des personnes qui vont faire ce qu'ils imaginent est la seule chose qui les délivrera. Et le suicide, le vrai, celui où on saigne et on vomit n'a que bien peu de choses à voir avec le suicide mythique et littéraire, ce fantasme de suicide dont parle Delfour.