Voila, il y a quatre "notes" pour l'instant, à retravailler. Je crois que ça me convient bien d'écrire comme ça. Reste à en faire quelque chose.
1
De toutes les semailles, celles des pois étaient parmi les plus agréables. Les graines, de petites boules tantôt jaunes, tantôt blanches, étaient plus volumineuses que les autres. On pouvait, en se tenant debout, les apercevoir alignées sur le sol, l’une après l’autre, toutes les dizaines de centimètres ; ainsi, on ne risquait guère d’en mettre deux à la fois. Il avait entendu dire que les pois étaient le résultat d’une sélection maraichère vieille de plusieurs millénaires. Les hommes étaient progressivement parvenus à les rendre plus facile à cultiver, plus productifs, et plus savoureux. Mais Guilhem n’appréciait que pour lui-même l’acte méditatif de disposer chaque bille l’une après l’autre, le visage à une coudée du sol, puis de les recouvrir de terre à l’aide ses pieds. Quand il était revenu au début de la ligne, il entamait la suivante de la même manière. Aïcha et Emilie repiquaient des choux brocolis, à quelques mètres de là, et leurs voix s’entremêlaient au vent dans les arbres et aux chants d’oiseaux qu’il ne parvenait jamais à reconnaître. Quand Michel vint le rejoindre, il en fut agacé, et nota avec émerveillement que la seule présence muette d’un être humain peut être une injure à l’équilibre du monde.
2
- Tu écris toujours ? demanda Zoé.
- Oui et non… Mais bon, il y a le travail à la ferme…
- Oh, enfin, tu sais aussi bien que moi que tout ça ne mènera jamais à rien.
- Bah, tu sais, c’est…
- Arrête de te chercher des excuses. Écrire te ronge ? Alors, écris, putain. Tu as du feu ?
3
Il y avait les trotskystes, les staliniens, les socioculs fringués équitable, il y avait les punks assis sur le trottoir, il y avait la famille Groseille en chemin pour le McDonalds, il y avait les guitaristes-cheveux-au-vent, il y avait les gays, les gouines, les hétéroflexibles, les ouvriers licenciés, les anarchistes barbues, des flamands en goguette, l’odeur du pain-saucisse syndical de la place Saint-Paul, les trains en retard et les autobus endormis, les autos en rade et les cyclistes fous, le fleuve draguant les enfants morts et l’odeur de joint dans le parc, les jeunes filles en fleurs et les jeunes garçons montés en graines, les greffiers errants et les roquets castrés, la promesse d’une bière fraîche et le petrichor qui s’élevait du trottoir. C’était le premier mai.
4
La rue de l’industrie ressemble à des milliers d’autres rues de banlieue en Belgique. Le goudron éreinté qui fait vibrer les pneus des voitures et des vélos, bardé de deux trottoirs en brique donnant accès à une série interminable de maisons rougeâtres et jaunâtres, toutes différentes car toutes identiques, cubiformes, mais de dimensions variables, presque plantées là, par hasard, pour pallier à l’ennui d’un architecte. Personne ne s’y promène jamais : on s’y gare, on sort de la voiture, on rentre chez soi. Parfois, des ambulanciers ou des déménageurs amènent un peu d’animation ; ce seront les seuls à le faire. Le reste du temps, il y fait parfaitement calme ; l'immobilité laisserait que l’on se promènerait dans une photographie de la rue de l’industrie au lieu de la rue elle-même.
Chaque fois que Guilhem allait chez la dentiste dont le cabinet se trouvait dans une avenue parallèle à celle-ci, il prenait le temps d’en respirer l’atmosphère, où il trouvait la plus enfantine sublimation de la vie périurbaine liégeoise, et se sentait enfin chez lui. Puis, un peu plus tard, quand il respirera l’air de la campagne, il détestera à nouveau la rue de l’industrie, qui est tout ce qu’il ne voudrait pas qu’elle soit. Lui qui ne voudrait apprécier que les grands paysages, tout en lui provenait de ce tarmac dégarni. Et autant de fois il partirait vivre ses idées, autant de fois il se souviendrait avec force de cette promenade, avant d’aller chez la dentiste, qu’il faisait, rue de l’industrie.