Le sujet des insomniaques

PS  : tiens, il est 11h12, et toujours sans effort attentionnel particulier je suis aussi en mesure de prendre connaissance de l"horaire de descente des reflets de ta sauterie à la poubelle non-consacrée à cet effet, de la durée de ce trajet ainsi que de l'évolution de ta gueule de bois. Merci de partager avec tant de générosité tous ces petits moments qui font le sel de la vie !

P.S.2 de mon compagnon, qui dans son odieux sommeil simulé, n'a pas tout compris de la situation :

Cher voisin, j'ai déduit cette nuit que vous louiez le couloir en plus de votre appartement et j'avoue que j'en suis assez jaloux, car notre propriétaire ne nous a pas proposé une telle offre. C'est une option qui nous intéresserait beaucoup, non seulement pour festoyer quelque peu (notre demeure n'étant pas très grande non plus), mais aussi pour entreposer tout un tas d'objets encombrants : synthétiseur, jeux de société, animaux de compagnie éventuels que nous n'avons pas encore acquis (justement par manque de place)... J'aimerais donc vous demander si une colocation du couloir est possible et si oui, quel en est le prix. Je pense que ce serait une solution qui nous arrangerait mutuellement, car ainsi vous paierez moins cher ce loyer supplémentaire (dont j'ignore le coût mais devant la rareté de la chose, je me doute que ce ne doit pas être donné) et en plus nous pourrions nous aussi profiter de tous les avantages dont vous avez amplement profité lors de votre pendaison de crémaillère. Est-ce du ressort de la régie de l'immeuble, le couloir pouvant être considéré comme un bien commun ? À moins que votre propriétaire se soit permis un petit écart dans le bail, dans ce cas comptez sur moi pour être discret sur l'affaire. Merci de remédier à ma perplexité. Sur ce, cher futur (et même déjà actuel) colocataire, veuillez recevoir mes plus sincères salutations.

Cher Voisin,

Nous te remercions pour les efforts que tu as aimablement fournis ces derniers jours. Si tu le permets, avisant les bienfaits que notre précédente missive a eu sur ta capacité à t'adapter à la civilisation, mon compagnon et moi-même aimerions entreprendre une tâche un peu plus hardie : il s'agit de te permettre de te soutenir dans ton intégration au sein de la joyeuse communauté du troisième étage.
En effet, après plusieurs jours d'écoute -non attentive toujours, selon notre protocole habituel et suffisant-, mon compagnon se sent investi de la haute mission suivante : reprendre ton éducation musicale. Il souhaiterait commencer, sans brusquer ton conditionnement de base, par te faire découvrir quelques artistes dans la mouvance électronique, pratiquant autre chose que le "boum-boum fiouuu-fiouuu". Il aimerait ensuite diversifier ton apprentissage et ouvrir ton oreille à d'autres styles.
Nous disposons d'une discographie adéquate ainsi que d'appareils de lecture au volume justement réglé, et nous t'invitons à venir te régaler de quelques titres dans notre appartement. Mais si cet arrangement ne te convient pas, nous sommes disposés à forcer sur la mollette au point de décoiffer tes cellules ciliées de l'organe de Corti, deux ou trois murs à traverser n'ayant jamais fait peur aux ondes sonores véhiculant les oeuvres complètes des Toy Dolls.

Bien à toi,
Tes chaleureux voisins

Cher Voisin,

Tu progresses. La nuit dernière, je n'ai réussi qu'à identifier les Daft Punk dans ta playlist, je n'ai pu compter que trois dindasses imbibées et hurlantes et environ autant de beaufs rugissants dans ton appartement. En progrès également, l'équivalent de l'intensité des vibrations émises selon la cotation de Richter ne frisait que le quatre virgule trois.
Malheureusement, lorsqu'une bonne partie de tes invités a pris congés vers deux heures du matin, certains ont semble-t-il clairement prouvé leur compréhension approximative des sages conseils que nous avions suggérés de leur transmettre à propos des passages dans le couloir. En effet, les "CHUUUUUUUUUT !!", "MAIS VOS GUEULES Y A LES VOISINS !!", coups sur les murs et autre coup de sonnette -mon compagnon ayant grommelé "ceci est une provocation" à cette occasion, si j'étais toi, je commencerais à me méfier-, toutes ces louables intentions disais-je, ne montrent j'ose l'espérer qu'un petit décalage entre ta bonne volonté et le quotient intellectuel de tes invités.

Pouvons nous compter sur une intégration complète et une mise en application de ces quelques petites règles de vie en communauté avant le mois de mai 2013 ? Il serait en effet fâcheux que, excédée par la masse de travail qui me submergera à ce moment de l'année, la totalité des références bibliographiques de mon mémoire -qui comprend quelques volumes encyclopédiques- atterrisse "fortuitement" quelque part entre tes os pariétaux et occipitaux.

Toujours bien à toi,
Ta voisine.

Cher voisin,

Je suis navrée de t'apprendre que notre immeuble est isolé du réseau de téléphonie mobile : les communications ne passent donc pas plus dans ton appartement que dans le couloir, et SURTOUT PAS CONTRE MON MUR.
Pour illustrer mon propos, je suis certaine qu'il me suffit de te conter cet exploit : je suis parvenue à maintenir la conversation suffisamment longtemps avec mon maître de mémoire via téléphone portable, perchée sur la cuvette de mes toilettes, pour lui hurler un "Oui !" soulagé quand il m'a proposé d'appeler sur mon téléphone fixe, cinq secondes environ après avoir décroché.

Les diverses vociférations à l'encontre de ces malheureuses merveilles de technologie qui se voient spoliées de leur raison d'être n'amélioreront pas leurs performances, hélas. Et je ne prêterai pas ma salle-de-bain à tes invités, je prête déjà mon espace auditif tous les samedis soirs.
Ne te méprends pas sur mon intention : ceci est pour ton bien et pour la réussite de la soirée qui s'annonce. En effet, quoi de plus triste que de voir ses invités happés par leurs nombreux contacts téléphoniques, détournés de la douce et chaleureuse ambiance festive qui règne chez toi ? Quoi de plus délétère pour l'entretien de tes relations sociales ?

Tu vois, cher voisin, je prends soin de toi.
Ta chère voisine.