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 Baisse de régime...

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MessageSujet: Baisse de régime...   Baisse de régime... Icon_minitimeDim 3 Fév 2008 - 23:39

Heu.

Ca va sans doute paraître pour le moins débile. Tant pis. J'ai pas inventé l'eau chaude après tout, alors pas vraiment de réputation à défendre hein.

Aujourd'hui, je me suis réveillé d'une bonne grosse cuite. Bien mignonne. Par la sainte magie du hasard, j'ai dû me vautrer contre un meuble ou un truc dans le genre, j'avoue ne pas m'en souvenir. J'ai une ridicule estafilade sur le front. N'empêche que bêtement, une marque sur mon visage, ça ranime en moi la conscience de n'être qu'un bout de viande dôté de la capacité de raisonner. Et l'envie, bête et méchante, d'être un joli steak haché tout strié. (Je vous vois venir... Non, ce n'était pas de l'AM bourré, j'étais entouré et le suis resté, et puis j'avais pas d'objets coupants, et j'étais d'excellente humeur même si je racontais probablement que de la merde).

Ca ne résoud rien, ça ne change rien. Je le sais. Je suis le même connard avec ou sans ces trucs. Alors à quoi bon ? Pourquoi j'ai naturellement envie de réouvrir cette estafilade, de la repasser au cutter ? Pourquoi ma tête veut ça, au fond, alors que je m'y oppose en construisant un raisonnement, raisonnement tout droit sorti de ces conneries de conventions sociales qui régissent le monde, mixées avec l'éducation alacon fondée sur "ne fais pas ça, tu me fais honte..." Merci papa/maman de m'avoir enseigné à craindre le regard d'autrui comme la peste. Vous m'empêchez de faire de la merde, sans le vouloir, des fois. Je dois avoir bien intériorisé cet impératif de standing et de bonnes manières... En tout cas, assez pour ne plus être capable de me saigner comme un goret si l'envie m'en prend. Youpi. Allez au diable.

J'aimerais beaucoup la jouer à "Je fais ce que je veux et je vous emmerde, si j'ai envie de saigner, je saigne, yahoo".
Mais bon demain, j'ai un entretien pour un stage, alors si le type voit mon visage découpé en apéricubes, je sais pas si ça va le brancher. C'est ainsi que je n'ai rien fait, même si en trois secondes, je me suis retrouvé avec un objet coupant à la main, en train d'hésiter bêtement. Oui, non, peut-être, avec du ketchup s'il vous plait.
Je ne sais pas si sans l'entretien, je l'aurais reposé, mon ustensile... Ca m'emmerde d'être aussi dépendant de prétextes, de n'avoir que si peu de volonté. Ca fait quand même un moment que j'arrive à me passer de l'assouvissement de mes pulsions primaires "viande qui saigne".

J'ai plus ou moins envie de hurler, j'essaie de rester froid, bien caché derrière mon humour bien gras comme à l'accoutumée, mais je pète un peu les plombs en ce moment, entre le travail que j'ai à faire qui n'avance pas, les gens qui essaient de braquer ma voiture, mes nerfs en carton qui me font faire de la merde... Et des galères de thune en perspective, avec la facture d'EDF sur l'évaluation "je parie qu'il met son chauffage à fond tout le temps !" (non boulet, je mets deux pulls -_-"), le rachat de pneus suite à une magnifique crevaison, et toute cette putain d'essence qui coûte les yeux de la tête.

Je ne sais pas vraiment ce que j'attends... Je viens de narrer un non-évènement, parce que je suis apte à rien, je suppose. C'est juste le simple fait d'y avoir pensé qui me dérange. L'envie motivée par la vision potentielle du résultat, avec le magnifique prétexte servi sur un plateau (nan mais j'étais saoul, j'ai dû tomber <= me voyant mal donner cette version à mon potentiel maître de stage, je me suis abstenu d'aggraver les dégâts, CQFD).

J'avais juste besoin de le consigner quelque part, en bon maniaque paranoïaque qui a peur d'oublier qu'il n'est jamais à la hauteur de ce qu'il veut... Et je suppose qu'occuper mes mains et ma tête est un "motif" aussi.

Pff... Encore une bonne façon de meubler le vide et de faire du vent avec mes crisettes pour le moins incohérentes et sans doute bourrées de contradiction avec ce que je fais d'habitude... 'chier.
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Caramel

Caramel


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MessageSujet: Re: Baisse de régime...   Baisse de régime... Icon_minitimeLun 4 Fév 2008 - 0:02

Tu serais surement très beau avec un truc coupé dans le front - personnellement, je crois que je commence à avoir un rapport assez étrange avec les coupures et les cicatrices sur un plan purement esthétique, donc je ne suis surement pas une réflérence mais je suis loin de trouver ça laid - mais ... C'est vrai que socialement parlant, il y a un peu plus passe partout.

Après, c'est sur que si la seule motivation à ne pas te faire des trous c'est "l'image", c'est un peu problématique. Parce que finalement on apprend vite à aller se faire des trous à des endroits discrets. Tu le sais, je le sais, on le sait tous ^^

Je ne suis pas nécessairement de bon conseil, parce que j'avoue que personnellement, j'ai renoncé à me battre contre l'AM.

Ce qui ne signifie pas que j'ai à tout prix envie de continuer à la faire, hein.

Juste, je considère l'AM en soi comme un truc pas mal secondaire. Je n'ai pas envie de me prendre la tête avec "me couper, ne pas me couper".

Je préfère - et trouve infiniment plus efficace pour ma part - me prendre la tête avec "comment me sentir mieux, régler mes merdes financières, apprendre à m'organiser mieux, vivre me vie en fonction de mes valeurs, etc.".
Si je vais mieux, j'ai moins souvent envie / besoin de me découper en fines tranches.

Et je le constate pas mal. Je me sens pas mal mieux que y a quelques temps. Dans ma vie en général.
Et je m'AM encore oui, mais pas mal moins souvent. Juste quand j'ai un coup de nerf spécifique sur un truc, une prise de bec avec qqun à qui je tiens, etc.
En soi, ca me pose pas vraiment de problème de continuer à le faire, en fait.

(oui, bien sur, cicatrices, coupures, croutes, potentielles infection, part de risque. je sais. Et j'assume)

L'AM.. Si elle doit faire partie de ma vie toute ma vie, alors qu'il en soit ainsi.
Et si elle se barre de ma vie, alors qu'il en soit ainsi aussi.

Après, c'est surement pas ce que tu cherches comme réponse.

Juste.. bah merde oui, t'es dans une période stressante et tout. Normal que ton corps te rappelle qu'il avait trouvé une manière de gérer ce stress. Après, c'est une offre sur l'étalage. Parmi d'autres, que tu as trouvé aussi après avoir arrêté l'AM. Tu la prends ou pas. Ton choix.
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MessageSujet: Re: Baisse de régime...   Baisse de régime... Icon_minitimeLun 4 Fév 2008 - 1:10

Je suis parfaitement conscient qu'on peut se viander en toute intimité. Juste que là, spécifiquement, j'avais envie que ce soit là et pas ailleurs... "C'est bêtement la vue de la coupure accidentelle qui t'a fait visualiser une coupure pas accidentelle. A cet endroit là." Comme tu dis.

Je suis également parfaitement conscient que l'AM est secondaire par rapport au bien-être général. Et comme tu le dis, la période est stressante. J'essaie de faire ce que je peux en bricolant avec mes trois bouts de ficelle pour ne pas couler, mais j'avoue que je perds en motivation à chaque tuile supplémentaire.
Je ne suis pas un challenger, les défis m'emmerdent. J'essaie pas de me dire "yahoo je vais tout prendre bien", ce serait générer un comportement complètement autruchier et neuneu à souhait. J'essaie juste de m'en foutre comme je peux, même si ça m'affecte. Et de résoudre ce sur quoi j'ai prise.

Citation :
"comment me sentir mieux, régler mes merdes financières, apprendre à m'organiser mieux, vivre me vie en fonction de mes valeurs, etc."

J'essaie d'avancer, même si ça ne se voit pas, vu qu'à chaque fois que je poste, c'est pas spécialement que je suis de bonne humeur. J'essaie de vivre en communauté, en me faisant accepter comme je suis. Je ne me censure pas vraiment sur ce que je pense des trucs qui m'entourent. Le seul truc sur lequel je me censure, c'est moi-même, parce que je n'estime pas que ça en vaille la peine. Je pense de toute façon que ce n'est pas en étalant ma vie et en faisant dans le mélodramatique que les gens pourront prétendre me connaître. Je ne veux pas me réduire à une somme de "mauvaises phases", 'tain.

Les gens qui m'entendent raconter des conneries, élaborer des théories tordues pour rien, scénariser des trucs improbables juste pour tripper, ceux qui me voient agir, m'investir dans des trucs qui me tiennent à coeur, ceux-là me connaissent mieux que personne. Parce que je pense me définir par cette somme de trucs. Pas juste une histoire planplan "il a joué à touche pipi avec moi, je me suis coupé, j'ai saigné, j'ai été trop dark, mais je suis trop fort, youpi, mes amis m'ont bien aidé à me rouler dans mon malheur à remuer la poussière d'il y a 140 ans, en plus du psy qui faisait durer les séances parce que j'étais un bon fond de commerce." Je schématise à mort, et je m'en excuse, mais j'ai pas envie de ressembler de près ou de loin à ce truc entre guillemets.

Comme tu le dis, vivre en accord avec ses propres valeurs est infiniment plus important qu'une simple coupure / pas coupure. Je pense que tout n'est pas perdu me concernant. J'essaie au moins. Ne serait-ce que dans mes réorientations au niveau du cursus scolaire / universitaire... Et dans ma façon d'être, en général. Je suis vachement plus zen qu'il y a quelques années... 'Fin comment dire. Serein. Conscient de ce que je fais, pourquoi je le fais. Comme dit Arnaud Michniak, "je sais où je vais", même s'il ne le pense pas dans le même sens.

Je suppose que ce soir, j'ai un peu joué "le rappel du séisme". Mais c'est une magnitude pourrie, pas d'inquiétude à avoir. Juste que ça m'a pris un peu par surprise, et que ça m'a un peu désarçonné, sur le coup... Merci en tout cas.
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Rain-Eve

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MessageSujet: Re: Baisse de régime...   Baisse de régime... Icon_minitimeLun 4 Fév 2008 - 12:53

Six heures du soir.

Je ne peux pas dire que je me sente allégé ni content; au contraire, ça m'écrase. Seulement mon but est atteint: je sais ce que je voulais savoir; tout ce qui m'est arrivé depuis le mois de janvier, je l'ai compris. La Nausée ne m'a pas quitté et je ne crois pas qu'elle me quittera de sitôt; mais je ne la subis plus, ce n'est plus une maladie ni une quinte passagère: c'est moi.

Donc j'étais tout à l'heure au Jardin public. La racine du marronnier s’enfonçait dans la terre, juste au-dessous de mon banc. Je ne me rappelais plus que c'était une racine. Les mots s'étaient évanouis et, avec eux, la signification des choses, leurs modes d'emploi, les faibles repères que les hommes ont tracés à leur surface. J'étais assis, un peu voûté, la tête basse, seul en face de cette masse noire et noueuse, entièrement brute et qui me faisait peur. Et puis j'ai eu cette illumination.

Ça m'a coupé le souffle. Jamais, avant ces derniers jours, je n'avais pressenti ce que voulait dire « exister ». J'étais comme les autres, comme ceux qui se promènent au bord de la mer dans leurs habits de printemps. Je disais comme eux « la mer est verte; ce point blanc, là-haut, c'est une mouette », mais je ne sentais pas que ça existait, que la mouette était une « mouette-existante »; à l'ordinaire l'existence se cache. Elle est là, autour de nous, en nous, elle est nous, on ne peut pas dire deux mots sans parler d'elle et, finalement, on ne la touche pas. Quand je croyais y penser, il faut croire que je ne pensais rien, j'avais la tête vide, ou tout juste un mot dans la tête, le mot « être ». Ou alors, je pensais... comment dire? Je pensais l’appartenance, je me disais que la mer appartenait à la classe des objets verts ou que le vert faisait partie des qualités de la mer. Même quand je regardais les choses, j'étais à cent lieues de songer qu'elles existaient: elles m'apparaissaient comme un décor. Je les prenais dans mes mains, elles me servaient d'outils, je prévoyais leurs résistances. Mais tout ça se passait à la surface. Si l'on m'avait demandé ce que c'était que l'existence, j'aurais répondu de bonne foi que ça n'était rien, tout juste une forme vide qui venait s'ajouter aux choses du dehors, sans rien changer à leur nature. Et puis voilà: tout d'un coup, c'était là, c'était clair comme le jour: l'existence s'était soudain dévoilée. Elle avait perdu son allure inoffensive de catégorie abstraite: c'était la pâte même des choses, cette racine était pétrie dans de l'existence. Ou plutôt la racine, les grilles du jardin, le banc, le gazon rare de la pelouse, tout ça s'était évanoui; la diversité des choses, leur individualité n'était qu'une apparence, un vernis. Ce vernis avait fondu, il restait des masses monstrueuses et molles, en désordre ;nues, d'une effrayante et obscène nudité.

Je me gardais de faire le moindre mouvement, mais je n'avais pas besoin de bouger pour voir, derrière les arbres, les colonnes bleues et le lampadaire du kiosque à musique, et la Velléda, au milieu d'un massif de lauriers. Tous ces objets... comment dire? Ils m'incommodaient; j'aurais souhaité qu'ils existassent moins fort, d'une façon plus sèche, plus abstraite, avec plus de retenue. Le marronnier se pressait contre mes yeux. Une rouille verte le couvrait jusqu'à mi‑hauteur; l'écorce, noire et boursouflée, semblait de cuir bouilli. Le petit bruit d'eau de la fontaine Masqueret se coulait dans mes oreilles et s'y faisait un nid, les emplissait de soupirs; mes narines débordaient d'une odeur verte et putride. Toutes choses, doucement, tendrement, se laissaient aller à l'existence comme ces femmes lasses qui s'abandonnent au rire et disent: « C'est bon de rire » d'une voix mouillée; elles s'étalaient, les unes en face des autres, elles se faisaient l'abjecte confidence de leur existence. Je compris qu'il n'y avait pas de milieu entre l'inexistence et cette abondance pâmée. Si l'on existait, il fallait exister jusque‑là, jusqu'à la moisissure, à la boursouflure, à l'obscénité. Dans un autre monde, les cercles, les airs de musique gardent leurs lignes pures et rigides. Mais l'existence est un fléchissement. Des arbres, des piliers bleu de nuit, le râle heureux d'une fontaine, des odeurs vivantes, de petits brouillards de chaleur qui flottaient dans l'air froid, un homme roux qui digérait sur un banc: toutes ces somnolences, toutes ces digestions prises ensemble offraient un aspect vaguement comique. Comique... non: ça n'allait pas jusque‑là, rien de ce qui existe ne peut être comique, c'était comme une analogie flottante, presque insaisissable avec certaines situations de vaudeville. Nous étions un tas d'existants gênés, embarrassés de nous‑mêmes, nous n'avions pas la moindre raison d'être là, ni les uns ni les autres, chaque existant. confus, vaguement inquiet, se sentait de trop par rapport aux autres. De trop: c'était le seul rapport que je pusse établir entre ces arbres, ces grilles, ces cailloux. En vain cherchais‑je à compter les marronniers, et les situer par rapport à la Velléda, à comparer leur hauteur avec celle des platanes: chacun d'eux s'échappait des relations où je cherchais à l'enfermer, s'isolait, débordait. Ces relations (que je m'obstinais à maintenir pour retarder l'écroulement du monde humain, des mesures, des quantités, des directions) j'en sentais l'arbitraire; elles ne mordaient plus sur les choses. De trop, le marronnier, là en face de moi un peu sur la gauche. De trop, la Velléda...

Et moi ;veule, alangui, obscène, digérant, ballottant de mornes pensées ; moi aussi j'étais de trop. Heureusement je ne le sentais pas. je le comprenais surtout, mais j'étais mal à l'aise parce que j'avais peur de le sentir (encore à présent j'en ai peur ;j'ai peur que ça ne me prenne par le derrière de ma tête et que ça ne me soulève comme une lame de fond). Je rêvais vaguement de me supprimer, pour anéantir au moins une de ces existences superflues. Mais ma mort même eût été de trop. De trop, mon cadavre, mon sang sur ces cailloux. entre ces plantes, au fond de ce jardin souriant. Et la chair rongée eût été de trop dans la terre qui l'eût reçue et mes os. enfin. nettoyés écorcés. propres et nets comme des dents eussent encore été de trop: j'étais de trop pour l'éternité.

Le mot d'Absurdité naît à présent sous ma plume; tout à l'heure, au jardin, je ne l'ai pas trouvé. mais je ne le cherchais pas non plus, je n'en avais pas besoin: je pensais sans mots, sur les choses, avec les choses. L'absurdité, ce n'était pas une idée dans ma tête, ni un souffle de voix, mais ce long serpent mort à mes pieds. ce serpent de bois. Serpent ou griffe ou racine ou serre de vautour, peu importe. Et sans rien formuler nettement, je comprenais que j'avais trouvé la clef de l'Existence, la clef de mes Nausées, de ma propre vie. De fait, tout ce que j'ai pu saisir ensuite se ramène à cette absurdité fondamentale. Absurdité: encore un mot; je me débats contre des mots; là‑bas, je touchais la chose. Mais je voudrais fixer ici le caractère absolu de cette absurdité. Un geste, un événement dans le petit monde colorié des hommes n'est jamais absurde que relativement: par rapport aux circonstances qui l'accompagnent. Les discours d'un fou, par exemple, sont absurdes par rapport à la situation où il se trouve mais non par rapport à son délire. Mais moi, tout à l'heure, j'ai fait l'expérience de l'absolu: l'absolu ou l'absurde. Cette racine, il n'y avait rien par rapport à quoi elle ne fût absurde. Oh! Comment pourrai‑je fixer ça avec des mots? Absurde: par rapport aux cailloux, aux touffes d'herbe jaune, à la boue sèche, à l'arbre, au ciel, aux bancs verts. Absurde, irréductible; rien ; pas même un délire profond et secret de la nature ; ne pouvait l'expliquer. Évidemment je ne savais pas tout, je n'avais pas vu le germe se développer ni l'arbre croître. Mais devant cette grosse patte rugueuse, ni l'ignorance ni le savoir n'avaient d'importance: le monde des explications et des raisons n'est pas celui de l'existence. Un cercle n'est pas absurde, il s'explique très bien par la rotation d'un segment de droite autour d'une de ses extrémités. Mais aussi un cercle n'existe pas. Cette racine, au contraire, existait dans la mesure où je ne pouvais pas l'expliquer. Noueuse, inerte, sans nom, elle me fascinait, m'emplissait les yeux, me ramenait sans cesse à sa propre existence. J'avais beau répéter: « C'est une racine »,ça ne prenait plus. Je voyais bien qu'on ne pouvait pas passer de sa fonction de racine, de pompe aspirante, à ça, à cette peau dure et compacte de phoque, à cet aspect huileux, calleux, entêté. La fonction n'expliquait rien: elle permettait de comprendre en gros ce que c'était qu'une racine, mais pas du tout celle‑ci. Cette racine, avec sa couleur, sa forme, son mouvement figé, était... au‑dessous de toute explication. Chacune de ses qualités lui échappait un peu, coulait hors d'elle, se solidifiait à demi, devenait presque une chose; chacune était de trop dans la racine, et la souche tout entière me donnait à présent l'impression de rouler un peu hors d'elle‑même, de se nier, de se perdre dans un étrange excès. Je raclai mon talon contre cette griffe noire: j'aurais voulu l'écorcher un peu. Pour rien, par défi, pour faire apparaître sur le cuir tanné le rose absurde d'une éraflure: pour jouer avec l'absurdité du monde.

[Jean-Paul Sartre, La Nausée]

Parce que j'ai rien de mieux à dire.

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